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yoadr [iôdr]
14 mars 2005

Il est mort.

Je suis professeur à l’université. Et je suis en train de donner un cours en amphi. Plus de 200 étudiants sont devant moi en train de suivre mes explications. Je suis extrêmement concentré.
Et puis mon téléphone sonne. Pas mon téléphone ordinaire, non, celui-ci je le coupe quand je suis en cours. Non, l’autre, le téléphone rouge. Celui sur lequel on peut me joindre 24h sur 24. Celui qui me sert à apprendre qu’il est arrivé quelque chose à l’homme que j’aime.

Il est malade depuis de nombreuses années. Il est hospitalisé depuis de nombreux mois. Et en phase terminale depuis de nombreux jours. Chaque jour qui passe est une sorte de bonus avant l’inéluctable.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine quand retentie la sonnerie. Je m’excuse auprès de mes étudiants, leur expliquant que j’attends un appel important. Je me retourne, fais face au tableau à quelques centimètres de mon visage, murmure un allô.

C’est Elise, l’infirmière qui s’occupe de lui à l’hôpital. Je la connais bien depuis le temps où je viens dans cet hôpital… Sa voix est un peu troublée. Elle dit juste : « Ca y est,  c’est fini. Je suis désolée. ».

Je savais qu’un jour j’allais recevoir cet appel. Je savais que j’allais souffrir. Et pourtant je n’imaginais pas un seul instant ce qui allait se passer en moi. Le déchirement, comme un énorme bruit qui casse tout à l’intérieur de moi, est d’une force impossible à contrôler.
Je suis surpris que le cataclysme total qui a lieu dans mon cœur n’ait aucune répercussion sur l’environnement. Au minimum, un gouffre aurait dû s’ouvrir sous mes pieds pour m’engloutir, engloutir tous mes étudiants, tout le bâtiment, toute la ville même.
Les larmes commencent à couler sur mon visage sans que je puisse l’empêcher et j’attends l’éclair qui va venir me foudroyer.

Mais il ne vient pas. Rien ne se passe d’autre que dans mon cœur.

J’ai raccroché et mes bras pendent, lamentables, le long de mon corps. Le brouhaha des étudiants trop contents d’échapper quelques instants au cours est remplacé peu à peu par un silence lourd au fur et à mesure qu’ils s’aperçoivent que quelque chose ne va pas.

Et je ne meurt toujours pas. Pourtant, j’ai beau réfléchir, je ne comprends pas pourquoi je reste ici. Moi qui allais tous les jours à l’hôpital, qui y corrigeais mes copies en vitesse ou préparais mes cours pendant qu’il dormait. A quoi je vais servir maintenant ? De qui je vais m’occuper ? Et qui va s’occuper de moi ?

Mes jambes commencent à flancher un peu sous moi. Je n’ai aucune idée de ce qu’il faut que je fasse. L’homme que j’aime vient de mourir et moi je reste là. Complètement désemparé. J’ai bien essayé de me préparer à ce qui devait arriver, mais ça n’a servi à rien du tout.

Le silence dans l’amphi n’a jamais été aussi profond à part sans doute quand il est vide. Et pourtant, je sens le regard des 250 étudiants dans mon dos qui attendent. Je fais un pas en arrière pour essayer de mieux voir mon tableau. Mais je ne sais même pas ce que je fais là. S’agit t’il d’un cours de DEUG sur les espaces vectoriels ou d’un cours de Licence sur les intégrales complexes ? Ma vision est complètement brouillée et je n’arrive à rien voir. Mon cerveau n’est que douleur.

Il faut que je fasse quelque chose, je ne vais pas rester face au tableau pendant une heure. Je voudrais essayer de me refaire un visage presque convenable, mais en mettant mes mains sur mes yeux je constate que mon visage est littéralement inondé de larmes. J’essaie de me racler la gorge pour parler d’une voix claire. Je me retourne, baisse la tête et dit que je ne suis plus en mesure d’assurer la suite du cours. Je rassemble à la hâte mes affaires, les range dans le désordre le plus complet dans mon sac et m’enfuie littéralement de l’amphi. Laissant mes étudiants hébétés.

Dès la porte passée, je me met à courir vers les toilettes les plus proches. Je m’enferme dans une cabine et m’écroule par terre. Je tape sur le sol de rage, de désespoir, j’ai envie de crier, de hurler ma peine immense.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté enfermé. Je ne veux plus bouger d’ici. J’irais où ? A l’hôpital ? Chez nous ? Pour faire quoi ?

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